Série Deuil et Tristesse 1
- Bonjour Clément…
- Oula ! Qu’est ce qui c’est passé ? Je vois tout de suite que ça ne vas pas aujourd’hui !
- Oh, je viens d’enterrer maman…
- Hmm, installez-vous, qu’est ce qui c’est passé ?
- Maman était âgée, mais elle allait bien, puis elle a attrapé ce qu’on a d’abord pensé être une bronchite. Elle a était mal pendant 10 jours, puis ça c’est dégradé et en un rien de temps elle est partie !
- Que ressentez-vous ?
- Je ne réalise pas encore, hier c’était mercredi, je vais toujours chez elle le mercredi, machinalement j’y suis allé et j’ai sonné en attendant qu’elle vienne ouvrir… (pleure) J’ai attendu quelques instants… car elle ne marchait pas très bien… puis… j’ai compris que personne n’allait m’ouvrir la porte… (pleure)
- Vous voulez un verre d’eau ?
- Non merci, oh je suis désolé !
- Pourquoi donc ?
- Je ne pensais pas pleurer aujourd’hui !
- En quoi est-ce un problème ?
- Oh, j’ai déjà perdue papa, je sais très bien que ça devait arriver. C’est l’ordre des choses, maman a eu une belle vie. Maintenant, je vais devoir m’occuper de vider la maison, la vendre, je dois être forte, puis mes enfants étaient proches de leur grand-mère, je ne veux pas pleurer devant eux.
- Quelle drôle d’association vous faites ! En quoi le fait de pleurer a un quelconque rapport avec le fait d’être fort ?
- J’ai toujours vu maman forte, quand on a perdu papa, j’étais jeune. Elle m’a élevé toute seule, je ne l’ai jamais vu se plaindre ou pleurer !
- Votre maman a refait sa vie après la perte de votre père ?
- Oh non ! Vous vous doutez bien ! A son époque, c’était mal vu !
- Votre maman semblait heureuse ?
- Je ne sais pas, il fallait tenir, elle n’avait pas le choix.
- Je vais reformuler la question autrement, voudriez-vous vivre la même histoire que votre maman ?
- Oh ça non ! J’aime trop mon mari, puis je ne serais pas capable !
- Votre maman n’aimait pas votre papa ?
- Si !
- Donc vous trouvez ça normal de ne pas être triste quand on perd quelqu’un que l’on aime ?
- Ah bah non ! C’est terrible au contraire !
- Je suis désolé de vous embêter, mais c’est important. Comment savez-vous que quelqu’un est triste du coup ?
- (Silence)
- ?
- Je présume quand il pleure…
- Donc, si vous ne voyez pas quelqu’un pleurer, il n’est pas triste ? Et donc, il est fort ?
- Oui, c’est quand même plus complexe, je ne vois pas où vous voulez en venir
- Ici, on fait de la médecine Chinoise, on est d’accord ?
- Oui !
- Donc, les émotions, sont une cause, pour ne pas dire la première cause des maladies. Que l’on nomme : les maladies internes. Mais ! C’est tout à fait normal et sain de pleurer ! C’est au contraire le fait de retenir une émotion qui devient « toxique », ou que l’émotion soit trop forte, ce qui amène une sidération, et donc une stagnation. Hors, en médecine Chinoise, on aime pas quand ça ne bouge pas. D’ailleurs, émotion, vient du latin emovere, qui signifie mettre en mouvement ! Finalement, que l’on soit chinois ou pas, on retrouve cette même notion avec le mouvement ! Dans la culture martiale, il y a un principe magero Kokoro, qui signifie la sincérité du cœur. Vous êtes d’accord que les arts martiaux, quand on les pratique on devient plus fort ?
- Oui, j’imagine…
- Donc, dans mon dojo, vous pouviez être gradé, c’est à dire monter en niveau, parce que vous aviez atteint magero Kokoro. Et qu’est ce qu’il y a de plus sincère qu’une émotion ? Rien ! Quand vous pleurez ! Je sais que vous êtes triste ! Quand vous êtes rouge de colère, je sais que j’ai dis quelque chose qui ne vous a pas plu, et quand vous riez à chaudes larmes, je sais que vous êtes en joie. Il n’y rien de plus sincère qu’une émotion ! Il y a bien quelques rares personnes qui arrivent à feinter les émotions, mais ont leurs donnes un Oscar quand elles y arrivent et elles ne sont pas si nombreuses !
- Je devrais pleurer donc ?
- Je dirais même plus ! Vous devriez être sincère !
- …
- Quel courage d’arriver à l’être en toute circonstance et donc, quelle force ! C’est parce que j’ai conscience de ma vulnérabilité que je peux être dans la maîtrise ! C’est pourquoi, c’est un principe martial. Maintenant, vous savez que pleurer ou exprimer une émotion fait de vous une personne sincère, et qu’il faut avoir du courage pour être sincère, et donc être fort. Contrairement à ce que vous pensiez, nous allons voir quelles sont les conséquences si vous ne pleurez pas !
- Vous auriez un mouchoir ? Je m’entraîne à être forte !
- Bravo ! Je suis fier de vous ! Avez-vous déjà entendue parler des 5 étapes du deuil ?
- Non
- Ce sont 5 étapes, définit par E. Kubler-ross, c’est une psychologue mais elle n’a rien avoir avec la médecine chinoise. Comme toujours, j’aime faire des ponts. Ces 5 étapes, ne se déroulent pas nécessairement dans l’ordre dans lequel je vais les citer, tout le monde ne les vit pas d’ailleurs, parfois on peut aussi revenir sur une étape déjà passée. Bref, gardons en tête que chacun est unique. La théorie reste de la théorie.
- Je comprends
- Donc on retrouve pour commencer, le déni, c’est ce qui c’est passé quand vous avez sonné chez votre maman et que vous vous attendiez à ce qu’elle vienne vous ouvrir. Dans cette étape on ne croit pas au décès, ce n’est pas possible. La défunte s’est absentée, elle va revenir. Deuxième étape la colère, ce n’est pas juste, pourquoi ça lui est arrivée ! Pourquoi maintenant ? J’aurais dû faire ci, j’aurais dû dire ça et encore de nombreuses autres nuances ! Des actes manqués, des regrets et des frustrations…
- Ah, cette étape là, je l’ai vécue aussi !
- Oui, c’est ce que je vous disais au début, il n’y a pas d’ordre ou de règles strictes, c’est une base pour comprendre l’évolution de la personne dans le deuil.
- Quelles sont les autres étapes ?
- Alors ensuite nous avons l’étape 3, le marchandage, croyant ou non, on amorce une négociation du genre : revient et je promets que je ferais ça. Implorer la pitié d’un dieu, préférer que ce soit nous etc, l’étape 4 est la tristesse, la dépression. C’est une phase d’isolement, personne ne peut comprendre notre peine. Les bons conseils des autres nous énerve et on ne veut pas tourner la page, on regarde les photos, on garde des affaires.
- Celle-là aussi, je suis en plein dedans ! Finalement, j’ai déjà fait beaucoup d’étapes !
- C’est vrai, mais ce n’est pas forcément une course ! Surtout qu’une étape passée peut revenir. Jusqu’à la dernière étape, qui est l’acceptation.
- Ah ça, je n’y suis pas encore ! Je comprends que ce ne soit pas une course, mais ça prend combien de temps un deuil ?
- C’est une bonne question, en médecine Chinoise, nous pouvons dire qu’un deuil n’est pas considéré comme pathologique jusqu’à 2 ans après la disparition.
- 2 ans !!!! C’est énorme !
- Encore une fois ! Chacun est unique ! C’est aussi vrai que ça dépend du lien avec le défunt. Maintenant, je peux vous dire par mon expérience que des personnes, même après 10 ans, n’ont toujours pas faite leur deuil !
- Comment savoir qu’on a fait le deuil ? Que l’on a passé l’étape de l’acceptation ?
- Toujours selon la médecine chinoise, c’est de pouvoir parler de la personne défunte librement. La tristesse est en lien avec le poumon. Comme l’air inspiré, le poumon en garde l’oxygène qui est bon pour lui et expire ce qui n’est pas bon. On peut garder cette image du souffle, après un deuil, on ne garde que le bon, l’impur tels que les rancœurs, les regrets sont éteints. On a pacifié le passé. J’aime aussi dire que l’on peut parler en riant du défunt !
- Oh ! Je n’en suis pas là du tout ! Mais, je crois que même pour mon père, que j’ai perdu à l’âge de 12 ans, je n’en suis pas là ! Alors que j’ai 63 ans !!!
- J’ai une petite idée de la raison, je vais vous expliquer…
- Oui, expliquez moi pourquoi suis-je toujours très émue quand je parle de mon père décédé ?
- Je parlais tout à l’heure des étapes du deuil. Si on reprend la médecine chinoise, ces étapes sont associées à une émotion. Rappelons-nous, qu’une émotion est une réaction physiologique normale pour un être humain. Ce qui n’est pas normal, c’est d’essayer de la contrôler. Vous me disiez, ne pas vouloir pleurer, soit disant pour être forte, n’est ce pas ?
- Bien, petite parenthèse, on peut être pudique ! C’est différent, de pleurer ou de crier au moment opportun, que de ne pas le faire ! Pardonnez moi le parallèle, mais quand vous avez envie d’aller au toilette ? Bon, s’il n’y a pas de toilette à proximité, vous êtes capable de vous retenir, même si c’est désagréable ?
- Oui… enfin, pas trop quand même, j’ai une petite vessie moi !
- C’est la même chose pour une émotion, on peut se retenir, car ce n’est pas forcément approprié, mais ça doit sortir, plus on garde, plus ça risque de s’infecter ! Je vous disais aussi qu’une émotion est liée à la notion de mouvement. Ce mouvement, c’est précisément lui qui vous fait avancer d’une étape à l’autre jusqu’à l’acceptation. Donc, ne pas pleurer, vous bloque à une des étapes du deuil.
- Oh ! Je comprends, c’est terrible ! Je pense que ma mère n’a jamais fait le deuil de mon père !
- Il y a des chances… et nous reproduisons tous des schémas, tout du moins jusqu’à ce que nous prenions conscience du dit schéma ! Le travail que vous faites là avec moi, va vous libérer vous, mais aussi libérer vos enfants. Sans quoi, on aurait pu supposer qu’ils reproduisent ainsi de suite, pensant que c’est normal de ne pas être triste et de devoir être fort.
- J’ai bien fait de venir !
- N’est ce pas ! Alors, ce travail libère les futures générations, mais rentre aussi dans le cadre préventif de la médecine chinoise. Car toutes ces émotions, sauf chez les psychopathes, se génèrent naturellement. C’est votre esprit, qui ravale la petite boule que l’on sent dans notre gorge. Mais cette petite boule, elle ne disparaît pas par magie ! Pire, si ça s’accumule, ça va commencer à vous rendre plus lourde ! Il faudra plus d’énergie, des tensions vont apparaître et petit à petit des déséquilibres. On doit donc, s’assurer qu’aucune émotion stagne. Ce qui vous permettra, de faire votre deuil ! Et donc, de pouvoir évoquer des souvenirs du défunt, avec joie.
- Ça me paraît tellement impossible !
- C’est naturel pourtant, nous sommes programmés pour ça. Tout comme nous sommes programmés pour mourir ! C’est d’ailleurs un des rôles du deuil.
- C’est à dire ?
- Le deuil, c’est apprendre que l’on va mourrir ! Généralement, après un deuil, il y a souvent un changement concret dans la vie d’une personne. Car nous prenons conscience à chaque deuil, que le prochain sous terre, ce sera peut être moi ! Et donc, après toutes les étapes du deuil passé, et notamment celle de la dépression, qui amène tristesse et introspection, on décide de se recentrer sur soi. Qu’est ce que je veux vraiment ? Qu’est ce que je ne veux plus ? C’est très souvent, qu’après un deuil, il y a un déménagement, un changement de travail etc. Un alignement s’opère ! Entre nos actes et nos désirs profonds. La vie est trop courte. C’est le cadeau que nous font chaque défunt ! Nous rappeler que l’on va nous aussi manger les pissenlits par la racine ! Avance ! Deviens qui tu as envie d’être !
- Je n’avais jamais vu le deuil sous cet angle…
- Votre maman, n’a probablement jamais refait sa vie, car elle ne s’est jamais autorisée à s’écouter ! À exprimer ses émotions. Mais, que vous y croyez ou pas, essayer juste d’imaginer votre père : aurait-il voulu que votre mère endure une vie de souffrance ?
- Évidemment que non !
- Il aurait sûrement incité à refaire sa vie, à avancer. Il n’y a aucun intérêt au sacrifice ! S’il y a une vie après la mort, imaginez la frustration que de voir sa femme souffrante et désespérée à élever seule sa fille, sans rien pouvoir faire. Terrible spectacle que vous lui offrez ! Le temps est précieux. Vivez chaque étape du deuil à fond, pleurez à fond jusqu’à la dernière larme ! Vivez la colère à fond, à crier et taper à en tomber de fatigue ! Négociez et priez tous les dieux ! Et n’écoutez pas les conseils des autres ! Les « ne pleure plus », les « on va te changer les idées », vivez votre deuil ! Cela peut mettre du temps, cela sera difficile parfois, mais que vous le vouliez ou non, vous n’avez pas le choix. C’est la dure réalité de la vie, on doit l’accepter et s’adapter pour continuer à avancer malgré tout. Ne vous sacrifiez pas. Soyez simplement humaine, vulnérable, un être sensible et émotif. Un humain ! Vivez !
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