La médecine chinoise est-elle vraiment une médecine de prévention ?

 Réflexion personnelle :

Lorsque je demande aux personnes ce qu’elles connaissent de la médecine chinoise, soit elles ne comprennent pas ma question : comment ça il y a d’autres médecines que LA médecine ? Soit elles me répondent : c’est la prévention !
La médecine chinoise a en effet développé une partie prévention dans son arsenal thérapeutique, que l’on appelle Yang Sheng Fa. Mais, c’est trop réducteur de résumer la MTC à cela, d’ailleurs les ouvrages classiques célèbres se consacrent à « l’attaque » des maladies et non à la prévention, je pense notamment au Shang Han Lun, le traité des maladies du froid ou encore les Wen Bing, les maladies de tiédeurs, faisant référence aux épidémies. Puis surtout, je me suis formé dans cette pratique, j’y ai appris les causes des maladies, l’ethiopathogenie, mais jamais vraiment comment limiter ces causes. Par exemple, j’ai appris que les causes internes, les émotions répétées ou trop intenses pouvaient être une cause des déséquilibres du corps et la porte ouverte à une maladie, mais je n’ai jamais appris à gérer des émotions. J’ai appris que les causes ni interne, ni externe, incluent l’alimentation ou le surmenage, mais si on a eu quelques grandes lignes sur l’hygiène de vie, ou plutôt sur ce qu’il ne faut pas faire, je n’ai jamais appris ce qu’il faudrait faire pour maintenir un etat de santé idéal, cela ne fait pas partie du programme officiel.
J’ai cependant appris les syndromes de tous le zang/fu (organes et entrailles) et les principes de traitements. Le traitement de quoi ? Du déséquilibre ! Donc d’une maladie. Je me questionne alors sur l’origine de la réputation de la médecine chinoise ? Pourquoi ceux qui pensent connaître cette pratique parlent tous de prévention ? Je me rends compte que tous les conseils que je peux prodiguer en matière de prévention particulièrement pendant les stages Kokoro, sont, en ce qui me concerne, le fruit de recherches personnels et d’observation des mécanismes qui ont rendus malades les gens qui viennent me voir.
Je pousserais à bout cette réflexion, lorsqu’en Juin j’attrape pour la premier fois le Covid. Je suis littéralement HS, et je dois même annuler mes consultations. Il ne faudra pas longtemps, pour que l’on me fasse gentiment remarquer que j’ai failli dans ma mission de prévention, et surtout dans ma mission de montrer l’exemple. Comme si le fait de tomber malade avait été un échec, et donc un argument contre ma pratique qui ne serait alors pas viable et efficace.
J’ai donc voulu creuser la question, pourquoi dit-on que la médecine chinoise est une médecine de prévention ? Car, il n’y a pas de fumée sans feu n’est-ce pas ?
Enquête dans les légendes de la médecine Chinoise !

Premièrement replaçons nous dans le contexte, on ne peut pas comprendre une médecine, sans s’intéresser à la civilisation et la philosophie qui est à l’origine de celle-ci.
A l’époque de la Chine impériale, seuls les élites pouvaient se payer un médecin ! On retrouve bien l’existence de médecins itinérants qui prodiguaient des soins au peuple en échange de nourriture, mais à l’exception de Bian Que ou Hua Tuo, célèbres chez les praticiens et les chinois pour leurs talents, ces médecins du peuple étaient souvent moins qualifiés et moins réputés.
On peut déduire, que la médecine traditionnelle que l’on étudie aujourd’hui, est une médecine qui était réservée à une élite et particulièrement une élite taoïste !
L’empereur étant le sommet de cette élite, l’un des plus célèbre est Qin Shi Huang qui est considéré comme le père fondateur de la Chine. C’est celui qui a fait construire un mausolée avec une armée de soldats en terre cuite ! Mais il est aussi connu pour sa recherche de l’immortalité.
Un taoïste considère que le yin et le yang régissent l’univers. Ce sont 4 règles qui définissent le monde et tout ce qu’il constitue. La médecine sera donc aussi sous cette influence, avec un premier principe qui crée tout de suite un grand écart avec la pensée occidentale actuelle, le corps est de nature yin et l’esprit est de nature yang. L’un et l’autre sont indissociables.
Si on pousse cette réflexion à l’extrême, et que le yin n’existe plus, le yang alors n’existe plus. Ainsi, s’il n’y a plus de corps, il n’y a plus d’esprit. On peut imaginer qu’avec cette pensée, un taoïste peut être plus anxieux à l’idée de la mort, comparé à d’autres civilisations qui définissent clairement une vie après, comme avec la réincarnation ou le paradis. Les taoïstes évoqueront seulement que l’on retourne au Tao, une partie au ciel (Hun) et une partie à la terre (Po), mais ne persiste pas d’existence comme une identité indépendante et consciente.
Plus tard arrivera le bouddhiste qui fera évoluer ces notions, notamment avec le concept de réincarnation, de nirvâna ou de fantômes.
Revenons alors Qin Shi Huang, obsédé à l’idée de mourir, qui demandera aux médecins de la cour d’éviter qu’il tombe malade, afin qu’il puisse atteindre l’immortalité. Il est aussi connu pour avoir cherché des élixirs de longévité au près d’alchimistes. C’est aussi probablement de cette époque que vient la fameuse anecdote, largement diffusée par un film français, que l’on paye le médecin quand on est en bonne santé et que l’on arrête de le payer quand on est tombé malade. Quand j’ai cherché d’où pouvait venir cette notion, j’ai plutôt lu que si l’empereur tombait malade, il faisait emprisonner ou tuer le médecin. La fameuse histoire du médecin payé pour maintenir l’équilibre et prodiguant les soins gratuitement lorsque le patient est tombé malade, semble être une légende. Ce qui semble être le cas aussi pour la Médecine Chinoise comme pratique exclusive de la prévention.



Continuons dans les légendes pour mieux comprendre, celle-ci concerne le grand médecin Bian Que, et elle confirmera l’idée que la prévention ne soit pas tant mis en avant en Chine, pour des raisons de célébrité cette fois-ci ! Je vous raconte, on ne retient de l’histoire que ceux qui ont étés célèbres.
En effet, l’histoire a retenu les talents de Bian Que car il soignait les gens atteint de maladies graves et parfois les sauvant de la mort, ce qui était spectaculaire. Tout le monde se souvenait de lui comme un faiseur de miracles, mais Bian Que avait en réalité 2 frères, l’un moins connu, car il traitait la maladie dès les premiers signes de celle-ci, quand elle n’était pas encore installée, traitant ainsi des symptômes légers. Et un dernier frère encore moins connu, car il traitait les maladies avant qu’elles n’apparaissent. Bien qu’il soit le plus compétent des trois et celui qui a consulté le plus de monde, il n’est pas célèbre car les patients ne réalisaient pas qu’ils avaient évités une maladie et personne ne parlait de lui. Ce n’est donc pas grâce à la pratique d’une médecine de prévention que Bien Que fût célèbre !
Et portons le dernier coup d’estoc à une médecine qui serait uniquement basée sur la prévention en Chine, c’est lors d’un stage hospitalier à l’hôpital de Li Wan à Guanzhou que j’échangeais avec un médecin spécialiste en gynécologie, pédiatrie et troubles de la fertilité. Il expliquait, qu’il voyait d’un assez bon oeil quand un enfant tombait légèrement malade, car son système immunitaire devait s’entrainer, qu’un enfant qui ne serait jamais malade, pourrait avoir des difficultés adultes lorsqu’il sera confronté à la maladie. Et, comme toujours en Asie, c’est la recherche obsessionnelle de l’équilibre, il continue son discours en disant qu’à l’inverse tomber malade trop souvent épuiserait le corps de l’enfant. On retrouve alors à travers cette notion, les principes taoïstes du Yin et du Yang, qui sont en réalité une succession sans fin d’états opposés, on passe du Yin puis au Yang, d’un état de santé à un état malade. La vie étant la succession de ces deux opposés. Cette notion, rejoint la théorie des hygiénistes qui font une corrélation entre la parution de certaines maladies chez l’adulte et une enfance trop aseptisée. A vouloir fuir un état, ici la maladie, l’extrême d’hygiène fait alors l’opposé de ce qu’elle est censé faire : elle rend malade ! C’est une des lois du Tao, l’extrême du Yin fait du Yang, l’extrême de quelque chose provoque son opposé.
Un autre médecin racontait lui, que si nous prenions le pouls régulièrement d’un patient dans la même séance et que celui-ci était sans variation, alors le patient mourrait dans 3 jours. La vie est donc faite de successions de phases, qu’il convient de respecter, d’accueillir et de maintenir, il fait jour, puis il fait nuit, c’est l’été et l’hiver, l’activité et le repos, le coeur ralentit et s’accélère, la santé et la maladie, c’est ce qui caractérise le mouvement de la vie, induit par ces deux polarités qui s’alternent sans cesse.

Ainsi, la prévention, telle que nous l’imaginons, une recherche absolue d’un état de santé sans faille, ne semble pas être la voie Taoïste, et surtout semble être inspirée d’une période précise de la chine de l’empereur Qin Shi Huang qui sera l’origine de nombreuses légendes et qui ne représente pas la pensée médicale chinoise dans son ensemble.
Je ne vois donc pas comme un échec, le fait de tomber malade, mais au contraire comme une succession de phases naturelles qu’il convient d’accepter et d’accueillir. Si tenté, que le corps puisse l’accueillir et traiter cette maladie. Car selon moi, la vrai prévention réside dans l’acceptation du fait que nous allons mourir. Que nous avons un capital d’énergie donné à notre naissance et qu’il faut savoir le potentialiser. Qu’il ne faut pas le consommer de manière inconsciente, prenant sinon le terrible risque à l’aube de notre mort d’avoir des regrets. C’est ici que réside la plus grande des préventions, celle de mourir prématurément et de ne pas avoir eu le temps d’accomplir ce qui animait notre coeur.
C’est finalement ce que fait Qin Shi Huang, bien qu’il cherche l’immortalité à tout prix, il faut tout de même construire un mausolée ! Il a accepté, l’idée de mourir et s’y prépare. La seule question importante, serait se demander, si à trop chercher l’immortalité, il n’avait pas oublier de vivre ?
Car dans cette quête d’une santé absolue, à consommer tout notre temps à essayer d’éviter les déséquilibres, à vouloir se protéger de tout, on peut vite se retrouver enfermé dans une citée interdite ! Prenons pour exemple l’hygiène alimentaire, il faudrait consacrer un temps fou pour juste bien manger ! Surtout en l’absence de serviteurs ! Parfois, en tant que praticiens, nous pouvons vite tomber dans la dictature, insufflant un nombre d’injonctions bienveillantes insurmontables pour n’importe quel individu dans notre société. Provoquant alors l’inverse de l’effet recherché : une grande frustration !
Recherchons alors, non pas un extrême, mais un équilibre. Acceptons les écarts alimentaires, et les phases de diet, acceptons de se surpasser en sport et acceptons les phases de repos et de feignantise aussi, car c’est la vie, une alternance d’états. Et que nous devons vivre, pleinement, que la vie ne peut être que Yin OU Yang, elle doit être Yin ET Yang. L’un et l’autre sont indissociables. Car le seul et unique poison selon moi reste la sensation de ne pas avoir vécu.




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