Burn-out

 - Clément, j’aimerais avoir votre avis sur une question qui ne me concerne pas vraiment.

- Bien sûr ! Mais vous savez ! Généralement, quand on commence ainsi… Enfin, vous pouvez tout me dire…

- Oui, je sais, je regarde aussi le cinéma ! Mais là, c’est vrai ! Ce n’est vraiment pas pour moi ! 

- Je vous écoute quand même ! 

- C’est ma fille…

- Ah…

- Je me demandais si vous pouviez l’aider ? 

- Toujours délicat et prétentieux de répondre à cette question, qu’est-ce qui lui arrive à votre fille ? 

- Cela fait trois semaines que son médecin l’a mise en arrêt ! Elle Mais rien ne bouge. Elle est toujours fatiguée, elle pleure tout le temps, elle ne fait pourtant que dormir mais elle se réveille crevée. Et, elle est à fleur de peau, je ne peux rien lui dire. Son médecin lui a dit que c’est un burn-out ! Mais, il ne fait rien de plus.

- Je connais, c’est une vraie épidémie ces burn-out. C’est en effet un motif courant maintenant, et il faut du temps pour que la personne puisse se reconstruire.

- Mais ! De mon temps, je n’ai jamais entendu parler de ça ! Ça n’existait pas. Et encore moins de sa grand-mère, la guerre, le travail éreintant, le stress qu’il y avait en 40, était quand même de toute autre nature ! Je ne comprends pas !

- C’est une réflexion que j’ai déjà menée, aux vu de la fréquence de ce motif en cabinet. Déjà, le terme est récent, c’est un psychologue américain qui l’évoque dans un de ses livres en 70 je crois. Son livre parlait de l’épuisement des professionnels de l’aide. Depuis, le concept a été repris et un peu modifié. Le burn-out est maintenant officiellement reconnu par l’OMS dans la classification des maladies et il la définit ainsi : intensité du travail + pression des performances + perte de frontière entre vie pro et perso. 

- Oui… enfin ma fille… n’a jamais vraiment été un bourreau de travail. 

- À moi, vous pouvez faire cette remarque, mais à votre fille… venez pas vous plaindre qu’elle soit à fleur de peau ! 

- Roh ! C’est un fait ! Point. On ne peut plus rien dire maintenant ! 

- Bon… je vous l’accorde ! 

- Quoi ? 

- J’ai en effet remarqué que dans de nombreux cas, ce n’était pas vraiment la quantité de travail qui était en cause. 

- Alors, c’est quoi ? 

- Les gens, généralement, aiment ce qu’ils font, enfin si je me base sur ceux qui viennent me voir. C’est plutôt la manière dont on leur demande de le faire le problème, c’est le cas notamment avec les soignants ou les enseignants. Ou alors, c’est le management et l’ambiance au travail le vrai problème. 

- Déjà de mon temps, le chef n’était pas un tendre ! Puis, j’étais dans un service de secrétariat, avec des femmes, alors niveau ambiance… je vous laisse imaginer ! Non, je ne comprends plus les jeunes… On a été trop tendres avec eux dans notre éducation…

- Je n’ai pas vécu à votre époque, je ne peux pas dire, sauf que tout semblait en effet plus simple. Maintenant, j’ai quand même l’impression que l’on a perdu quelque chose, à la veille du week-end de Pâques, j’aime bien demander ce que vont faire les gens pendant ce long week-end. Je suis surpris par le nombre de personnes qui restent seules. Et ça, c’est vraiment amplifié avec le confinement, nous sommes la génération Netflix à la maison, alors qu’à l’époque, croyant ou pas, les fêtes étaient des rites sociaux. Le dimanche était en famille. Mes grands-parents n’étaient jamais seuls un week-end. Le lien renforce et soutient, c’était un moyen de se ressourcer, de verbaliser, de se changer les idées. Alors que maintenant, pour peu que la boîte mail pro soit paramétrée sur le téléphone et on a finalement toujours une partie de nous au travail. 

- C’est vrai que je ne vois pas si souvent ma fille… 

- Je pense aussi que le burn-out a un lien avec une particularité de notre génération : la quête de sens ! Alors que votre génération semblait jouir d’une forme d’insouciance, que ce soit en termes de relations ! 

- Relations ? 

- Disons que ça semblait plus simple d’avoir des rapports sexuels à votre époque, 

- Ah ! Je dois avouer que oui ! 

- Nous, on nous a stressés avec le sida, maintenant avec les mouvements #metoo, ou les problèmes de genre… mais l’insouciance ne s’arrête pas là ! C’était l’insouciance dans l’écologie, maintenant on culpabilise de ne pas pouvoir acheter électrique alors qu’on nous avait juré que le diesel, bien que plus cher à l’achat, était une meilleure solution ! Et, dans le travail, j’ai toujours entendu mon père dire que si son chef l’emmerdait de trop, il changerait de travail le lendemain. Même accéder à la propriété est un défi ! La plupart de mes amis sont encore locataires, qui à mon âge à votre époque n’avaient pas encore un bien immobilier ? 

- Oui, en effet tout était plus simple… 

- Alors maintenant, imaginez-vous ! Vous travaillez bien, vous donnez beaucoup de votre temps. Après votre séance de sport intense pour ne pas avoir de réflexion au travail sur une éventuelle prise de poids, vous rentrez éreintée chez vous, seule. Pour vous reposer et ne pas ressentir une trop grande solitude, vous allumez la télévision. Pendant votre douche, c’est le jt : guerre, crise économique, violence et résultat des matchs de foot sont au programme. Vous vous séchez les cheveux en réchauffant un plat préparé, puis vous le mangez en regardant votre série Netflix. Avant d’aller dormir par acquis de conscience, vous regardez vos mails. Et cela jour après jour, jusqu’au week-end, où vous dépensez votre peu d’argent en buvant un verre de vin avec une copine qui vient de se faire larguer. Le seul échange que vous avez avec votre mère, c’est pour se prendre des réflexions. Arrivé alors le dimanche soir,  le moment où il faut se coucher, pour redémarrer un cycle, dans votre lit, alors que les draps sont encore frais, vous essayez de vous projeter. L’âge de la retraite va encore reculer, vous avez maintenant plus de chance d’avoir un cancer du sein que du temps pour voyager. De toute façon, ça pollue. C’est alors que l’insomnie vous frappe avec un enchaînement de questions. Le pourquoi vous harcèle, vous commencez à avoir des nausées, vous pleurez sans raison, et une envie soudaine de ne plus vouloir quitter votre lit apparaît. Demain, en vous levant, vous avez un vertige, vous tombez, c’est décidé, vous n’irez pas travailler. Alors, chère amie, je vous le demande ! En de pareilles circonstances, n’auriez-vous pas aussi des vertiges ? 

- Je présume que si… Je me sens tellement bête… 

- Ne vous jugez pas, on fait tous de notre mieux. 

- Alors ? Comment l’aider ? 

- Alors ? Comment l’aider ?
- Déjà ! Voudrait-elle venir ?
- J’arriverais peut-être à la convaincre, en lui expliquant votre approche…
- Comme je disais, le terme burn-out est américain et récent, dans la médecine chinoise on parlerait peut-être de surmenage, mais ce n’est pas une maladie en tant que telle, c’est une cause de maladie. Une cause que l’on appelle ni interne, ni externe.
- C’est quoi alors comme cause concrètement ?
- C’est quand votre corps vous dit quelque chose et que vous lui dites ta-gueule.
- Comment ça ?
- Imaginez-vous en train de repeindre cette pièce, vous venez de finir les trois pans de murs et il en reste plus qu’un, mais vous avez faim, votre nuque est en compote… et alors ? Vous n’écoutez pas, vous préférez terminer pour être tranquille demain. À chaque fois que vous faites cela, vous puisez dans vos ressources et un jour, il y en a plus ! Cela peut alors avoir des répercussions à différentes zones ou même organes du corps.
- Il y a un traitement ?
- Cela dépend du bilan et de là où se localisent les dégâts, mais ce qui est commun à chaque cas, c’est la nécessité de se reconnecter avec son corps, pour être sûr d’entendre les prochains signaux. Les techniques manuelles sont intéressantes pour ça.
- Quoi ? Vous allez lui faire des massages et ça va passer ? Là c’est sûr qu’elle va m’envoyer sur les roses !
- Ah ah ! De toute manière, je n’aurais pas de solutions miracles ! Et surtout, ce qu’elle va devoir comprendre, c’est qu’il est plus aisé de casser que de construire et qu’on ne peut espérer une rémission totale sans changement concret dans son environnement. C’est un travail de longue haleine, qui sera difficile et éprouvant…
- Et bien ! On peut dire que vous savez vendre votre approche (ironie)
- En même temps, quel autre choix a-t-elle ? De la chimie ? Qui va la dissocier encore un peu plus de son corps afin de lui permettre de retourner au travail comme un robot ? Si le but est de retourner au travail, ce sera en effet efficace !
- Bon ! Alors, elle se reconnecte avec son corps et alors ?
- Elle va pouvoir alors développer son Saki.
- Son quoi ?
- Son instinct, son ressenti, mieux s’écouter c’est le premier pas pour mettre des limites. Quand on a des limites claires et bien définies, on peut commencer à demander de l’aide quand elles sont dépassées. Ce sera déjà une bonne base pour reprendre un rythme normal. Car pour l’instant, elle est juste dans un cercle vicieux, incapable de reprendre mais pourtant elle va culpabiliser de ne pas suivre l’injonction sociale qu’est de travailler. Elle va être encore un peu plus isolée, du peu de monde qu’elle pouvait voir au travail et à la salle de sport. La journée, le silence laissé dans son appartement par les gens qui travaillent sera de plus en plus étouffant. Et Netflix n’a pas un catalogue si diversifié quand on est tous les jours à la maison. Bref… tout ça pour dire qu’il faut rapidement la sortir de ce cercle vicieux pour qu’elle puisse reprendre la normalité, afin de continuer la phase suivante du travail.
- Qu’est-ce que la suite ?
- Retrouver du sens.
- Du sens ?
- Oui ! Une raison, un pourquoi !
- Un pourquoi à quoi ?
- A pourquoi se lever le matin ? Pourquoi s’infliger tout ça, alors que tout semble s’effondrer autour de nous.
- Comment trouver ?
- L’approche taoïste est de s’inspirer de la nature pour trouver des réponses.
- La nature ?
- La mer se demande-t-elle pourquoi elle porte tous les bateaux ? Alors que ceux-ci relâchent en échange de ce service tous leurs déchets.
- …
- Elle ne se le demande pas, car elle est ! Simplement, sans jugement ! Tout comme vous l’étiez sûrement à l’âge de votre fille, ou comme mon fils de cinq mois peut l’être. Insouciant, il s’émerveille des floraisons printanières et sourit à qui veut bien croiser son regard, qu’il soit maigre ou gros, beau ou laid, blanc ou noir, il est ! Simplement. On commence à avoir besoin de sens quand on est plus dans l’être, mais dans l’avoir. Et on commence vraiment à souffrir quand on prend conscience que l’on a précisément rien ! Et quand on va disparaître, que restera-t-il de notre passage ? Même pas la reconnaissance de notre hiérarchie, qui sera déjà en train de se plaindre car elle n’arrivera pas à nous remplacer par une seule personne car les jeunes ne veulent plus travailler !
- Alors là ! Je ne sais vraiment pas comment je vais lui expliquer tout ça !
- Ah ah ah ! Mais il ne faut pas… c’est un long travail, une succession de prises de conscience, une reconnexion à soi, une reconnexion à la nature, puis aux autres, ce qui permet de dessiner petit à petit qui je suis. La raison d’être, découle naturellement de cet état. Comme une fleur que l’on cueille devant soi, tout devient une évidence. Lorsque la question du sens sera réglée, plus rien ne pourra l’atteindre. Car chaque événement, aussi éprouvant qu’elle pourra vivre ne sera pour elle qu’une opportunité. Une opportunité d’être qui elle veut être !
- C’est beau ! Je vais essayer de lui en toucher deux mots. Mais en attendant, comment je peux l’aider ?
- C’est simple…
- !?!??
- Oui ! Aimez-la ! Aimez-la simplement pour ce qu’elle est !

(Écrit sans IA)

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